Chaque année, Bambou grandissait encore plus beau, encore plus gracieux.

Il était conscient de l'attachement que son Maître éprouvait à son égard et du plaisir qu'il prenait à le regarder.

Cependant, il demeurait modeste et d'une grande gentillesse. Bien souvent, alors que son ami le vent venait se divertir dans le jardin, Bambou oubliait sa dignité pour se mettre à danser : il se balançait joyeusement, se courbant puis se relevant dans un abandon serein. À la plus grande joie de son Maître, il menait la grande danse du jardin.

                                                  Bambou_vert : Jardin des Chinois de bambou panoramique style en plein air.    

Un jour, le Maître s'approcha de Bambou pour le contempler. Les yeux remplis de curiosité, Bambou se courba jusqu'au sol en signe de révérence. Le Maître lui dit :

— Bambou, Bambou, j'aimerais me servir de toi.

— Maître, lui répondit Bambou, je suis prêt. Fais de moi comme bon te semble.

— Bambou, reprit le Maître d'une voix grave, je vais devoir te couper.

Un frisson d'horreur parcourut le tronc de Bambou.

— Me... couper ? fit-il, alors que tu as fait de moi la plus belle plante de tout ton jardin ? Me couper ! Oh non, je t'en prie, ne fais pas ça ! Utilise-moi selon ton bon plaisir, ô Maître, mais ne me coupe pas !

— Mon cher Bambou, continua le Maître d'une voix encore plus grave, si je ne te coupe pas, je ne pourrai pas t'utiliser. Tout s'immobilisa dans le jardin. Le vent retint son souffle. Bambou, courbant lentement sa tête fière, répondit tout doucement :

— Maître, si tu dois me couper pour pouvoir m'utiliser, alors qu'il en soit fait ainsi ! Coupe-moi !

— Bambou, mon très cher Bambou, je dois aussi te couper les feuilles et les branches.

— Maître, Maître, je t'en supplie, épargne-moi cela ! Coupe-moi, étale ma beauté dans la poussière, mais pourquoi me retirer les feuilles et les branches ?

— Hélas, Bambou, si je ne les coupe pas, je ne pourrai me servir de toi.

Le soleil se cacha la face. Un papillon qui avait tout entendu s'envola de frayeur. Bambou frissonna de tout son corps et finit par chuchoter:

— Maître, coupe-les !

— Bambou, Bambou, je vais devoir te couper en deux et te tailler le cœur, sinon je ne pourrai pas t'utiliser.

— Maître, ô mon Maître, coupe et taille comme il te plaît.

C'est ainsi que le Maître du jardin prit Bambou, le tailla, lui arracha les branches, le dépouilla de ses feuilles, puis le fendit et lui retira le cœur. Il le souleva gentiment et le porta jusqu'à une source d'eau fraîche et pétillante, au milieu de ses champs asséchés.

 

       Bambou : l'eau d'une fontaine en bambou avec de la végétation aquatique

Le Maître plongea alors une extrémité de Bambou dans la source, et plaça l'autre au-dessus du canal d'irrigation de son champ. Puis il posa délicatement son bien-aimé Bambou. La source l'accueillit avec joie. L'eau fraîche et pétillante coula avec entrain et empressement le long du corps déchiré de Bambou pour se répandre dans les champs assoiffés.

Puis on planta le riz et les jours s'écoulèrent. Les pousses grandirent. Ce fut le temps de la moisson. Bambou, dont la beauté et la majesté l'avaient autrefois couvert de gloire, resplendissait à présent plus encore dans sa souffrance et son humilité. Certes, du temps de sa beauté, il respirait la vie. Mais maintenant qu'il était brisé, il apportait la vie au domaine de son Maître.

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